AFRICA Algeria

Posté par lesamisdegg le 4 juin 2018

Le chef fièrement coiffé d’une dépouille d’éléphant, telle nous apparaît Africa dans les monuments antiques. Afrique mineure des géographes, Ifrikiya ou Moghreb des Arabes, Afrique du Nord et Algérie de l’Union française, elle trouve dans cette représentation le symbole de son être et de son destin, formulés d’une écriture indélébile.D’une part l’animal sauvage dressé par Hannibal pour des conquêtes illustres, et c’est l’éternelle Berbérie. D’autre part le visage noble et grave d’une déesse, et c’est la Méditerranée œcuménique; Juba II, roi des Berbères de Mauritanie, se promène sur ses petits éléphants, mais il fait de sa capitale, Césarée, (aujourd’hui Cherchell), une cité hellénique, et lui-même fut un écrivain grec digne d’estime.

 

AFRICA musée de Cherchell

AFRICA
musée de Cherchell

 

Les origines de l’actuelle Algérie tiennent tout entières dans cette dualité typiquement méditerranéenne. Cette peau de bête, dont se coiffe la déesse, répand une odeur de souvenirs fabuleux. Car la fable, la geste, la légende, l’épopée, la Bible, les Évangiles naissants font sur ces rivages une ronde d’images qui enchantent la mémoire et l’imagination. Depuis les temps les plus reculés il n’est pas une de ces merveilles dont les hommes primitifs bercèrent leurs songes, qui n’ait pas élu au moins un de ses sites en ces parages : le climat physique et spirituel leur en fut toujours extraordinairement propice.

D’étonnantes mosaïques, où les visages ont le type même des habitants contemporains, attestent la naissance d’Amphitrite, le triomphe de Neptune, l’odyssée du roi d’Ithaque; et c’est ici, au musée de Cherchell, qu’un Ulysse un peu barbare apparaît sur sa nef dans son entourage de véritables sirènes, haut perchées sur leurs pattes d’oiseaux artificieux.

Didon et Énée, les Phéniciens, les Carthaginois, Sophonisbe et Massinissa, la diaspora juive, Jugurtha qui se préparait pour les siècles futurs une statue de héros national par sa résistance aux césars de Rome, les Vandales dont la vague vient mourir dans les douceurs de la vigne et de l’olivier, l’exaltation triomphante de la croix de Jésus qui fait surgir de ce vieux sol païen les baptistères et qui donne au christianisme plusieurs des plus fameux Pères de l’Église autour de saint Augustin , « l’algérien » , né à Madauros (Mdaourouch), mort à Hippo-Regius (Bône), au milieu des ferveurs, des croyances, des hérésies, des apostasies ;voilà le premier cycle du cortège ancestral.

Mais voici la chevauchée des tribus de Sidi Okba qui porte le croissant de l’Islam depuis la mer Rouge jusqu’aux plages de l’Atlantique, malgré la juive Kahena retranchée dans ses montagnes; voici treize siècles musulmans qui façonnent à leur tour ce terroir sans changer son âme profonde; voici les royaumes berbères, les dynasties arabes, les occupants turcs les siècles barbaresques, à la fois capiteux par les charmes de la vie facile à l’ombre des patios mauresques et redoutables par les bagnes de la piraterie où les missionnaires s’immolent pour le rachat de captifs .

Et bientôt voici d’autres gestes, d’autres cavalcades, un Orient nouveau qui grise le Delacroix des « Femmes d’Alger », et les coups de trompettes et de fusils, la casquette du père Bugeaud, les zouaves de Lamoricière, la smala du vaillant Abd-el-Kader, suivis de gens à charrues et à truelles qui viennent, de toute la Méditerranée, replanter le blé, la vigne et l’oranger, bâtir les silos, les docks, les usines, et refaire à ce terroir éternel le jeune visage qu’il offre au monde moderne.

Pourtant son âme est là, vivante, inchangée, toujours double en vérité sous les péripéties mouvantes de la succession et de la synthèse. Il reste une âpreté barbare dans ce facies géographique, dans ce climat violent, dans cette terre qui prend parfois les teintes des pelages animaux : la dépouille de l’éléphant d’Africa traîne encore sur des montagnes ravinées sur la pierre désertique, sur les sables du Sud, et les vautours de Sidi-M’Cid viennent se régaler d’offrandes nègres, et l’on sacrifie un taureau blanc couronné de feuillages au solstice du printemps.

Quand les Kabyles de la montagne sculptent le bois, moulent la poterie, gaulent leurs olivettes, ce sont les millénaires de la Berbérie qui suent dans les paumes de ces mêmes mains qui ont fait le signe de Tanit, le signe de la croix, le signe de Fatima : indomptables, indomptés dans leur vieil esprit d’indépendance et de dignité humaine.

Mais c’est aussi le beau visage de la déesse qui reparaît dans ces innombrables, vestiges des civilisations successives : depuis les tombeaux circulaires où dorment les rois puniques jusqu’aux puissants barrages-réservoirs des ingénieurs d’aujourd’hui, en passant par les Vénus et les Apollons grecs, par les capitoles romains, par les délicieuses arabesques de Tlemcen et les turqueries voluptueuses de celle qui fut El-Djezaïr, « les îles » de quelle félicité Alger, la capitale aux buildings orgueilleux.

Même les visages de la légende survivent dans les êtres qui palpitent sous mes yeux. Que d’Ulysses n’ai-je pas retrouvés parmi les pêcheurs siciliens de Stora, de Collo! Que de Calypsos n’ai-je pas désirées parmi les filles accueillantes des escales portuaires. Que de Dulcinées dans les faubourgs espagnols d’Oran, que de Sancho, que de Quichotte dans ce Bab-el-Oued !

En vérité toute la civilisation méditerranéenne, son amalgame et son tumulte créateur, son vivant génie composé par les apports heurtés et confondus de l’Orient et de l’Occident, des religions, des philosophies, des peuples juxtaposés et emmêlés, se montrent ici sous leur aspect le plus exemplaire, dont cent années d’activité française excitent la fermentation.

Et voici qu’au pays de saint Augustin et d’Ibn-Khaldoun paraissent, rédempteurs des succès matériels, les poètes et les artistes, aux noms d’Europe ou d’Orient, porteurs peut-être de la préfiguration prophétique d’un univers enfin harmonisé.

 

GABRIEL AUDISIO

09 1949

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La LEGION à CAMERONE 30 avril 1863

Posté par lesamisdegg le 30 avril 2018

 

 

L’armée française assiégeait Puebla.

La Légion avait pour mission d’assurer, sur cent vingt kilomètres, la circulation et la sécurité des convois. Le colonel Jeanningros, qui commandait, apprend, le 29 avril 1863, qu’un gros convoi emportant trois millions en numéraire, du matériel de siège et des munitions était en route pour Puebla. Le capitaine Danjou, son adjudant-major, le décide à envoyer au-devant du convoi, une compagnie. La 3e compagnie du Régiment étranger fut désignée mais elle n’avait pas d’officier disponible. Le capitaine Danjou en prend lui-même le commandement et les sous-lieutenants Maudet, porte-drapeau, et Vilain, payeur, se joignent à lui volontairement.

Le 30 avril, à 1 heure du matin, la 3e compagnie, forte de trois officiers et soixante-deux hommes, se met en route. Elle avait parcouru environ vingt kilomètres, quand, à 7 heures du matin, elle s’arrête à Palo Verde pour faire le café. À ce moment, l’ennemi se dévoile et le combat s’engage aussitôt. Le capitaine Danjou fait former le carré et, tout en battant en retraite, repousse victorieusement plusieurs charges de cavalerie, en infligeant à l’ennemi des premières pertes sévères.

Arrivé à la hauteur de l’auberge de Camerone, vaste bâtisse comportant une cour entourée d’un mur de trois mètres de haut, il décide de s’y retrancher, pour fixer l’ennemi, et retarder ainsi le plus possible le moment où celui-ci pourra attaquer le convoi.

Pendant que les hommes organisent à la hâte la défense de cette auberge, un officier mexicain, faisant valoir la grosse supériorité du nombre, somme le capitaine Danjou de se rendre. Celui-ci fait répondre : « Nous avons des cartouches et ne nous rendrons pas ». Puis, levant la main, il jura de se défendre jusqu’à la mort et fit prêter à ses hommes le même serment. Il était 10 heures. Jusqu’à 6 heures du soir, ces soixante hommes, qui n’avaient pas mangé ni bu depuis la veille, malgré l’extrême chaleur, la faim, la soif, résistent à 2 000 Mexicains : huit cents cavaliers, mille deux cents fantassins.

 

CAMERONE 30 04 1863

CAMERONE 30 04 1863

 

À midi, le capitaine Danjou est tué d’une balle en pleine poitrine. À 2 heures, le sous-lieutenant Vilain tombe, frappé d’une balle au front. À ce moment, le colonel mexicain réussit à mettre le feu à l’auberge. Malgré la chaleur et la fumée qui viennent augmenter leurs souffrances, les légionnaires tiennent bon, mais beaucoup d’entre eux sont frappés. À 5 heures, autour du sous-lieutenant Maudet, ne restent que douze hommes en état de combattre. À ce moment, le colonel mexicain rassemble ses hommes et leur dit de quelle honte ils vont se couvrir s’ils n’arrivent pas à abattre cette poignée de braves (un légionnaire qui comprend l’espagnol traduit au fur et à mesure ses paroles). Les Mexicains vont donner l’assaut général par les brèches qu’ils ont réussi à ouvrir, mais auparavant, le colonel Milan adresse encore une sommation au sous-lieutenant Maudet ; celui-ci la repousse avec mépris.

L’assaut final est donné. Bientôt il ne reste autour de Maudet que cinq hommes : le caporal Maine, les légionnaires Catteau, Wensel, Constantin, Leonhard. Chacun garde encore une cartouche ; ils ont la baïonnette au canon et, réfugiés dans un coin de la cour, le dos au mur, ils font face. À un signal, ils déchargent leurs fusils à bout portant sur l’ennemi et se précipitent sur lui à la baïonnette. Le sous-lieutenant Maudet et deux légionnaires tombent, frappés à mort. Maine et ses deux camarades vont être massacrés quand un officier mexicain se précipite sur eux et les sauve. Il leur crie : « Rendez-vous ! »

« Nous nous rendrons si vous nous promettez de relever et de soigner nos blessés et si vous nous laissez nos armes ». Leurs baïonnettes restent menaçantes.

« On ne refuse rien à des hommes comme vous ! », répond l’officier.

Les soixante hommes du capitaine Danjou ont tenu jusqu’au bout leur serment. Pendant 11 heures, ils ont résisté à deux mille ennemis, en ont tué trois cents et blessé autant. Ils ont par leur sacrifice, en sauvant le convoi, rempli la mission qui leur avait été confiée.

L’empereur Napoléon III décida que le nom de Camerone serait inscrit sur le drapeau du Régiment étranger et que, de plus, les noms de Danjou, Vilain et Maudet seraient gravés en lettres d’or sur les murs des Invalides à Paris.

En outre, un monument fut élevé en 1892 sur l’emplacement du combat. Il porte l’inscription : « Ils furent ici moins de soixante opposés à toute une armée, sa masse les écrasa. La vie plutôt que le courage abandonna ces soldats Français le 30 avril 1863 .A leur mémoire, la patrie éleva ce monument »

Depuis, lorsque les troupes mexicaines passent devant le monument, elles présentent les armes. »

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1er R.E.P. -sa révolte-

Posté par lesamisdegg le 21 avril 2018

LA RÉVOLTE DU 1er REGIMENT ETRANGER DE PARACHUTISTES

« La mémoire n’est pas seulement un devoir, c’est aussi une quête »

(Commandant Hélie de Saint-Marc -  » Les champs de braises « )

12 Novembre 1960    Une nouvelle consternante parvient dans les unités parachutistes. Dans les Aurès, les fells ont surpris un groupe de combat du 1er REP à sa descente d’hélicoptères, faisant 11 morts et 6 blessés graves.

15 Novembre 1960     Dans la chapelle de l’hôpital Maillot à Alger, eut lieu la cérémonie militaire et religieuse en l’honneur des légionnaires tombés le 12. Ils allaient maintenant reposer comme tant d’autres dans cette terre d’Algérie qu’ils avaient défendue jusqu’à l’ultime sacrifice et qui était la leur désormais.

Au cimetière de Zéralda l’aumônier de la 10ème Division Parachutiste, le Père Delarue, bien qu’habitué à conduire des légionnaires à leur dernière demeure, se sentait, devant tous ces cercueils, bouleversé. Ce qui le mettait en rage, lui, prêtre, c’était l’absurdité de cette mort si elle ne correspondait plus à un sacrifice exigé par la Nation. Onze cadavres inutiles et scandaleux… Onze cadavres de plus dans cette longue liste… Et sa détresse, sa lassitude étaient immenses, de cette guerre où des hommes valeureux payaient de ce qu’ils avaient de plus cher pour racheter l’incompétence, la veulerie, les fautes et les palinodies de leurs gouvernants. Tous écoutaient, muets et bouleversés, les dernières prières douloureuses de l’aumônier. Des paroles simples lui venaient aux lèvres. Il disait : « Vous étiez venus de tous les pays d’Europe où l’on aime encore la liberté pour donner la liberté à ce pays. La mort vous a frappés en pleine poitrine, en pleine face, comme des hommes, au moment où vous vous réjouissiez d’avoir enfin découvert un ennemi insaisissable jusque-là.». Et, d’une voix forte, il ponctua en criant presque : « Vous êtes tombés au moment où, s’il faut en croire les discours, nous ne savons plus, ici, pourquoi nous mourons ! »

Puis le clairon, gonflant ses joues et les veines de son cou, lança vers les airs cette courte sonnerie saccadée : la sonnerie aux morts.

« Notre Père, qui êtes aux Cieux… » commença le prêtre, de sa voix qui tremblait et qui n’avait pas son impassibilité habituelle. Et tandis que se continuait le Pater, chez ces grands enfants qui écoutaient, recueillis, se reflétait un immense chagrin au souvenir de leurs camarades de combat. Chez certains, les yeux devenaient troubles comme sous un voile et, à la gorge, quelque chose s’étranglait. Sur toutes ces têtes alignées, flottait pour la dernière fois, l’ombre de ceux qui étaient morts, parce que la France, une dernière fois, le leur avait demandé. Et quand le prêtre, après un arrêt, et la voix plus grave encore, prononça les derniers mots de l’Ave Maria, d’une simplicité sublime : « Sainte Marie mère de Dieu… priez pour nous, pauvres pécheurs… maintenant… et à l’heure de notre mort », tout à coup, sur les joues de ces hommes rudes que l’on qualifiait « d’inhumains », de brusques larmes coulèrent, qui jaillissaient rapides et pressées comme une pluie…L’émotion avait atteint un degré douloureux. La foule pleurait en silence communiant dans la douleur avec « ses soldats », « ses légionnaires ».

 

 

insigne du 1er R.E.P.

insigne du 1er R.E.P.

Puis le nouveau chef du 1er REP, le Colonel Dufour,  s’avança à son tour pour dire adieu à ses hommes. Il énuméra les noms de ceux qui ne feraient plus le chemin, tant rêvé, du retour dans leur foyer. Ces noms qui, bientôt ne vivraient plus que dans le cœur des mères, émurent le silence, cognèrent aux poitrines, bâillonnèrent les gorges et mouillèrent de nouveau les yeux. Puis il termina par ces mots : « Il n’est pas possible que votre sacrifice demeure vain. Il n’est pas possible que nos compatriotes de la Métropole n’entendent pas nos cris d’angoisse ». Il salua ; les clairons sonnèrent : « Au drapeau ». Les détachements présentèrent les armes et défilèrent, les yeux tournés vers les tombes. Les visages graves, bronzés et maigres, recelaient toutes les tristesses cachées, toutes les tares et tous les deuils qui les avaient amenés là.

« Nous ne savons plus ici pourquoi nous mourrons… » Ces paroles du père Delarue allaient avoir un écho immédiat : il allait, sur le champ, être banni d’Algérie et exclu des unités parachutistes.

Trois semaines plus tard, le Colonel Dufour fut relevé de son commandement pour avoir exprimé en public ses sentiments « Algérie française » et fut prié de quitter le sol algérien avant le 9 décembre 1960, date d’arrivée du de Gaulle à Oran. Ecarté de la Légion, affecté aux FFA, (Forces Françaises en Allemagne), (Offenburg), le Colonel Dufour choisira quelque temps plus tard la clandestinité et rejoindra, en Algérie, les rangs de l’OAS.

 

Colonel DUFOUR

Colonel DUFOUR

 

      8 Janvier 1961     Un événement tout à fait extraordinaire venait de se dérouler au 1er REP. Pour la première fois depuis le début des guerres d’Indochine et d’Algérie, des officiers de cette prestigieuse unité refusaient de partir en opération. Ils se mettaient en grève ! Unanimement hostiles à la politique algérienne du général de Gaulle, ils n’acceptaient plus de voir mourir leurs légionnaires alors que l’indépendance de l’Algérie semblait inéluctable. A quoi pouvaient désormais rimer ces opérations incessantes et meurtrières à l’heure où le chef de l’état clamait qu’il voulait en finir à n’importe quel prix avec le « boulet algérien ». L’absurdité dépassait les bornes. Ils avaient donc décidé de faire la « grève de la mort ». Un vent de panique souffla à tous les échelons de la hiérarchie. Quoi ! La « grève de la mort » ? Impensable pour des hommes qui étaient « soldats pour mourir » !

Une pluie de sanctions s’abattit sur les révoltés qui furent mis aux arrêts et mutés immédiatement en Métropole. L’un d’eux, le Lieutenant Roger Degueldre fut affecté au 4ème Régiment Etranger d’Infanterie mais il refusa de rejoindre son nouveau corps. Le 25 janvier 1961, il entra dans la clandestinité. Les dés de son destin étaient jetés. Une légende naissait…

A Zéralda, fief du 1er REP, le cœur n’y était plus et les questions que posaient les cadres rescapés de la purge n’obtenaient aucune réponse de la hiérarchie : le drapeau du FLN va-t-il flotter sur Alger ? Après avoir été vaincu sur le terrain, le FLN y sortira-t-il vainqueur ? Que vont devenir les Européens ? Et les Musulmans ralliés au drapeau français qui ont cru aux promesses de l’armée ? Après l’Indochine, l’Algérie… L’armée sera-t-elle donc éternellement vaincue, éternellement parjure ? Et de mains en mains l’on se passait une lettre. C’était une missive vieille de 2000 ans. Le texte, rapporté par Suétone, était de Marcus Flavinius, centurion à la 2ème cohorte de la légion Augusta. Destiné à son cousin Tertullus, il avait été écrit en Numidie (ainsi que s’appelait l’Algérie à l’époque romaine) : « Si nous devions laisser nos os blanchis en vain sur les pistes du désert, alors que l’on prenne garde à la colère des légions ! »

 

1er R.E.P. Commandant Hélie de Saint-Marc

1er R.E.P.
Commandant Hélie de Saint-Marc

 

La colère des légions ! Elle se concrétisa le 22 avril 1961 avec le soulèvement des plus belles unités de légion et de parachutistes… et se termina par la dissolution du 1er REP.

José CASTANO

 

 

 

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ALGER 1960 par Marie ELBE

Posté par lesamisdegg le 15 avril 2018

Alger…Tu te souviens ?

Dans le souvenir de ceux qui vécurent à Alger restent les images de deux villes, l’ancienne, intime, familière, et, soudain, la montée des nombreux immeubles modernes…. » Je ne me lasserai jamais de la beauté de cette ville », disaient souvent les Pieds-Noirs. Dès avril, les rues devenaient des plates-bandes et l’air avait des senteurs de giroflées.

Que je me souvienne. Ce paradis-là était bleu et blanc. Dressé dans la lumière. Encore fallait-il distinguer les bleus. Le bleu du ciel, répandu comme une grâce, toujours un peu plus pâle que le bleu de la mer où erraient des voiles, au bout de chaque rue. C’est bien ça ! La mer nous attendait au tournant, splendide et familière. D’ailleurs, une habitude tout à fait algéroise nous sortait du lit, pour nous jeter au balcon dès le réveil, une tasse de café à la main. Comme si, pieds nus dans le soleil, nous voulions nous assurer que le paysage n’avait pas disparu pendant la nuit.

Nous commencions ainsi nos journées. Dans la joie qui vient des belles certitudes. Tout était en place. Le soleil dans le ciel, les bateaux sur la mer, les marchands de fleurs aux carrefours, et les rumeurs de toutes les rues, avec des cris, tout proches, qu’on devinait plus qu’on n’entendait. Le cri strident du  » marchand d’habi-i-its ! « , l’autre, galopant du  » vitrier-vitrier-vitrier, vitrier… « , le roulement des camions qui livraient du coca-cola, et les beuglements des sirènes du port.

Parfois – allez savoir pourquoi, comment, d’où ils rappliquaient -, trois nègres à un carrefour, vêtus de peaux de bête, agitaient des castagnettes en fer, tournoyaient sur eux-mêmes comme des toupies ronflantes, et rigolaient :  » Monsieur Joseph, donne-moi cent sous ! «  Depuis des lustres, la somme n’avait pas varié. Un de mes aïeuls, débarquant à Alger aux temps héroïques, et qui s’appelait Joseph, entendit le même  » Monsieur Joseph, donne-moi cent sous !  » Se tournant vers sa femme, il dit :         » C’est drôle, ils me connaissent déjà !  »

 

Alger 1960

Alger 1960

 

Que je me souvienne. Les rues s’éveillaient tôt. On les tirait du sommeil à grande eau, et dans ce ruissellement passaient les premières silhouettes. Ombres bleues des dockers qui descendaient au port, ombres blanches des Mauresques qui se glissaient hors de la Casbah, pour rejoindre le cœur de la ville. Elles allaient sans bruit, comme dans un étrange ballet de fantômes. Parfois, la patronne se penchait au balcon. Alors dans la paix de la rue, on pouvait entendre

- Fatma, tu es bien gentille, monte-moi du sucre, j’ai oublié !

- Ay, ay, ay ! Tu en as pas de cervelle, toi, hein ?

- Attends, je te jette l’argent !

C’était quelque chose, la rue Michelet à 9 heures du matin. L’amitié s’attardait à toutes les terrasses de bistrots. Le soleil et l’ombre des arbres jouaient sur les trottoirs, par flaques, et, traversant ces flaques dans une odeur de bière, de café et de pain frais, on descencendait à son journal, à son bureau, à son trolley, ces monstres algérois.  Déjà, sous les parasols, de joyeux  » disoccupadi-par-plaisir « , vous appelaient

- Tu as le temps, viens boire quelque chose…

- Tu es fou, je vais arriver en retard…

- Et alors ? Tu mourras pas pour ça !

Rue Michelet, la fête commençait en avril. Par un bref printemps. Par la marée des marchands de fleurs. L’odeur des giroflées et du lilas se mêlait à celle de la mer qui bougeait là-bas, au-dessus des palmiers de la rue Monge. Toutes ses dentelles rangées jusqu’à la ligne d’horizon. Nous apprenions qu’en France il avait neigé. Qu’à Marseille les bateaux semblaient rentrer de terre Adélie. Que le Rhône charriait des glaces. Rue Michelet, c’était le temps béni des départs pour les plages. La sarabande des vespas, les cris des filles qu’on chahute, qu’on feint de laisser sur le trottoir, en démarrant pour La Madrague, ou le R.U.A., ou la Pointe-Pescade.

- Si tu m’emmènes pas, je te tue !

- Va chez ta mère !

- Ma mère, laisse-la tranquille. Elle est au marché.

       Les marchés d’Alger, c‘est vrai, portaient tous le nom d’un général de la Conquête. Le marché Meissonnier, le marché Clauzel, le marché Randon. Le marché Nelson (prononcer Nelson comme Gaston). Tout bonnement parce qu’ils se tenaient dans les rues Clauzel, Meissonnier ou Randon. Là, l’épopée était d’un autre ordre. La lutte à l’étalage. Et quels étalages… La beauté des femmes, des fruits, des fleurs et l’insolence des marchands

- Elles sont pas très belles tes tomates.

- Mes tomates, elles sont plus belles que ta figure…

- Dis, tu veux une gifle ?

Et le marchand de légumes, Belkacem ou Ali… tendait la joue

- Fais-moi une caresse, et je te donne un bouquet de menthe en plus…

- Celui-là, quel culot, ma pauvre ! Rien qu’y profite !

On allait au marché Randon une fois par semaine. C’était le plus riche, le plus lointain. Le plus oriental. Il s’étalait au pied de la Casbah. On y arrivait par un petit escalier tordu, qui débouchait, d’emblée, sur des pyramides de pastèques, de cerises, de citrons, d’oranges, de raisins kabyles aux grains roux et oblongs, à la peau dure. Sur le marché Randon flottaient toutes les odeurs de la ville arabe. La cannelle et l’encens, le benjoin et le  » fessour  » brûlés dans de petits braseros, -le cumin, le poivre rouge et les grains d’anis qui parfument le pain. Randon, c’était une balade. Au long cours. De là, on poussait une pointe dans les boutiques des Mozabites qui se tenaient raides, à leurs comptoirs, dans un déferlement de foulards et dans l’odeur fade de la cotonnade. Derrière les petites vitrines, l’eau de Cologne  » Pompia « , dont raffolaient les Mauresques. Sur l’étiquette, une dame romaine, au profil de médaille, dorée sur fond rouge. Si vous vous attardiez à palper les tissus, à lever le nez sur les rayons, le Mozabite sortait de son mutisme : « Tu peux tout acheter, c’est la mode de Paris… »

A deux pas du marché Randon, la place du Gouvernement. Immense, dominée par la fringante statue équestre du duc d’Orléans.  On y respirait l’air du large et les remugles de la pêcherie. On y rencontrait parfois, traînant ses espadrilles, Sauveur Galliero, beau comme un Greco, débraillé comme un gitan. Le jour, il se gavait de lumière. La nuit, il peignait. Camus s’inspira de Galliero pour le personnage de l’Etranger.

- Un pied plus un pied, tu crois que ça fait deux pieds ?

- Toi, tu penses quoi ?

- Moi, je pense que ça fait un pas en avant, disait Sauveur.

Que de pas il a faits, Galliero ! Vous prenant le bras et marchant avec vous des heures, parlant lentement de choses belles. Tournant autour de cette statue du duc d’Orléans, où venaient se serrer des dormeurs arabes, de plus en plus proches du piédestal, pour maintenir leur tête à l’ombre, au fur et à mesure que le soleil s’élevait. C’était un genre de prince dans la ville. Un prince en short délavé, qu’on retrouvait partout, rue Michelet, sous un parasol au R.U.A., cette piscine au bord de la mer, dans les petits sentiers bordés d’oliviers des hauteurs de la ville, dans la cour de Radio-Algérie, rue Hoche, dans une gargote de la Casbah, ou à la  » Galerie du Nombre d’or  » boulevard Victor-Hugo, le rendez-vous des peintres d’Alger. Galliero errait à sa guise. Il peignait des somptuosités. En 1962, l’année du grand retour, on le ramena sur une civière. Autant que je me souvienne, il mourut quelques mois après. Comme cette ville que nous avions perdue.

 

 

De la place du Gouvernement, on remontait vers le square Bresson, par une rue toute en arcades que certains, qu’aucune comparaison n’effraie, appelaient  » notre rue de Rivoli « . En fait, cette rue Bab-Azoun alignait dans l’ombre ses boutiques aux enseignes qui se voulaient absolument de France :  » le Bambin parisien « ,  » les Deux Magots « , ou  » le Chapon fin « …

Puis c’était le square Bresson. Et là, arrêt. Pause. Alger des premiers jours de la société algéroise. La brasserie Tantonville, banquettes en moleskine, plantes vertes, globes de la Belle Epoque. Guéridons à trois pieds, et fauteuils en rotin. A côté, l’Opéra. En face, le square, avec un kiosque où se donnaient des concerts en plein air, à grands coups de cymbales, à petits coups de triangle, à solide renfort de grosse caisse. De quoi rompre le cœur des oiseaux qui nichaient par milliers dans les arbres du square. Ivres de lumière et de chaleur, certains soirs d’été, les oiseaux prenaient le relais. Un fantastique charivari. Sur les bancs du square Bresson, des Arabes méditatifs regardaient la mer… Pendant des heures. Et, pendant des heures, tournaient de petits ânes, porteurs d’enfants assis sur des selles de peluche rouge.

Le square dominait le port. Et toutes les odeurs du port, goudron, futailles, bois, épices et marée, tournaient avec le vent quand le vent soufflait du large et s’engouffrait dans le square. Pas loin, c’était l’Amirauté. Un vieux fort où logeait l’amiral, gardé, sous les voûtes à l’ombre violette, par des marins bleus, avec des guêtres blanches et ce pompon rouge que les filles tapotaient au passage, quand elles allaient se baigner au bout de la jetée. Devant l’Amirauté, un plan d’eau où remuaient légèrement de minces voiliers, coque contre coque. Au mois d’août, sur les quais, le goudron fondait sous les talons des femmes. Prises au piège, elles s’affolaient, battant l’air et riant fort…

Du square Bresson à l’hôtel Aletti  on pouvait suivre le boulevard Front-de-Mer jusqu’à un monument à la mémoire des marins, et là, bifurquer à droite et monter vers la rue de Tanger. Importante, à cause de Bitouche. Ce n’était ni un restaurant ni un bar. Plutôt, surtout, le  » sésame  » des amateurs de brochettes et de kémias qu’on appelle ailleurs amuse-gueules ou tapas… Les parfums de chez Bitouche vous accueillaient à la frontière de la rue de Tanger. Et vous accompagnaient jusqu’à la rue d’Isly. Bitouche, qui n’était pas en peine de gadgets, exaspérait ses braises avec un séchoir électrique…

Bien sûr, Bab-el-Oued… Nous n’y vivions pas tous.  Ceux qui n’y vivaient pas y allaient pour le plaisir, surtout les soirs d’été. Bab-el-Oued, c’était la joie, le folklore hilarant, les ramblas, la main sur le cœur, et le cœur sur la main. On y marchait plus vite que nulle part ailleurs, on y parlait plus haut, on y chantait plus juste, on y riait plus vrai, on y prodiguait le bras d’honneur avec une grandeur romaine, on s’y chamaillait à tue-tête. Bref, il n’y avait qu’à s’asseoir et à regarder. De préférence, pour dîner, à la terrasse d’Alexandre. La carte ? Un poème !

- Deux potages symphoniques, et deux ! (pour dire deux soupes aux haricots, ou  » loubia « .)

- Trois cervelles basses, et trois ! (Comprenez des rognons…)

A Bab-el-Oued, on prenait l’amour au tragique, et le malheur à la rigolade.

 

Alger port 1960

Alger port 1960

 

Un jour, il y eut Jacques Chevallier… Alger changea de visage. Ou plutôt, Alger changea de profil. Il y eut Alger d’avant… et, brusquement, sur les collines qui couronnent la ville, des armadas éclatantes, dressées contre le ciel. On y plantait des palmiers à leur maximum de croissance, on y traçait des routes, dessinait des jardins, creusait des vasques et des fontaines, bref, une furia de construire, vite et bien. Un peu comme si nous n’avions plus désormais tellement de temps…

Marie ELBE

 

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MOUNA y MONA et recette

Posté par lesamisdegg le 31 mars 2018

Ce gâteau de Pâques qui réveille tant de bons souvenirs parmi les Oraniens, a toujours été désigné, chez nous en milieu hispanophone par le mot mona. L’appellation mouna n’étant qu’un accommodement à la française, une naturalisation si vous préférez. Dans les faubourgs populaires de Sidi-Bel-Abbès et des autres villes d’Oranie, l’authenticité du mot mona était jalousement préservée de génération en génération. Le peuple Oranien avait certes des racines métropolitaines, d’Alsace Lorraine, du Languedoc, du  Sud-Ouest, de Corse, et d’ailleurs mais aussi  des racines italiennes, espagnoles. La colonie ibérique constituait, à elle seule, plus de la moitié de la population européenne.

Pour en revenir à notre gâteau, on nous propose dans les grandes surfaces, à l’approche de Pâques, des mounas, bien sûr, étiquetées de la façon suivante : « Pâtisserie méditerranéenne ». Pour les besoins commerciaux, l’amnésie est ici totale. De la mona espagnole, honorée en Oranie, nous passons allègrement à la mouna de tout un bassin méditerranéen.

Alors ! Quelles sont les origines de ce gâteau ? Si on raisonne à partir du mot mouna, on se perd en conjectures. On affirme alors, sans rire, que les Oranais allant fêter le lundi de Pâques sur les pentes boisées du Fort Lamoune, baptisèrent ce gâteau ‘mouna’ par analogie avec ce lieu habituel de leurs réjouissances. Or les adeptes de ce pique-nique étaient à 90% des hispanophones ou descendants d’hispanophones. Ils savaient très bien, eux, qu’à l’heure du dessert, ils mangeaient la mona de leurs parents ou grands-parents. Ce serait les traiter avec beaucoup de légèreté que de leur faire injustement endosser la paternité du mot mouna.

en route pour le four

en route pour le four

D’ailleurs l’immense majorité des gens de Sidi-Bel-Abbès, Tlemcen, Ain-Temouchent, Bénisaf, Saint-Denis du Sig, Perrégaux, Mostaganem, Mascara, Saïda, Tiaret,  qui de père en fils a pétri et dégusté des monas, n’a jamais entendu parler du Fort Lamoune d’Oran. D’autres, expliquaient que les familles des prisonniers espagnols du Fort faisaient parvenir aux détenus, une fois l’an à Pâques, au moyen de longues perches, des gâteaux appelés depuis mounas .Enfin une autre explication, aussi fantaisiste que les précédentes, établissait une relation entre le nom espagnol du gâteau, mona, et celui des singes qui recevaient des morceaux de brioches que les prisonniers du Fort leur balançaient du haut de leurs fenêtres. Au lecteur de choisir la bonne explication.En somme, Il n’y en aurait pas d’autres. Certes, si l’on appelle, mona (1), la guenon à queue courte, il faut savoir que le mot a ici une étymologie totalement différente. En vérité, en contrebas de ce Fort, se trouvait une avancée rocheuse et boisée que les Espagnols (dès le 16ème siècle) appelaient « punta de la mona », la pointe de la guenon. Cette précision apparaît dans certaines cartes anciennes. Emmanuel Roblès imaginait ce que Cervantès, lors de son voyage à Oran fin 1581, avait pu voir en arrivant sur nos côtes : le Murdjadjo , le Fort de Santa Cruz, Le Fort de la guenon, « el Fuerte de la mona » .Voila comment on en arrive à l’appellation Lamoune.

D’aucuns avancent aussi que ‘mico’ signifie une petite mona, gâteau. La confusion vient de ce petit travers de plaisantins qui illustrait souvent notre discours, un peu à l’instar des Andalous. Nous aimions beaucoup faire usage de jeux de mots, de mots équivoques, de traits d’esprit. Ce que les Espagnols appellent « un chiste» ou bien « una broma» Ainsi lorsqu’un enfant peu sage demandait à sa maman qu’elle lui fît des monas, celle-ci, agacée, lui répondait souvent : « Oui ! C’est ça, je vais te faire des monas et tu ne veux pas des micos aussi ?». Les « micos » désignant une autre variété de singes, à queue longue celle-là. Il s’agissait bien sûr d’un jeu de mots. La maman, peu encline à lui être agréable, ne pensait ici qu’aux deux variétés de singes. Pour ceux qui faisaient la fine bouche ou qui n’appréciaient pas assez cette pâtisserie, il était de bon ton de leur dire : « Si tu n’aimes pas les monas, eh bien, mange des micos ». Encore une plaisanterie où l’on propose à l’interlocuteur de croquer une seconde variété de singe, en feignant de comprendre qu’il n’aimait pas la première. On joue évidemment ici sur le double sens du mot mona.Ces drôleries dites en version originale ont une toute autre saveur bien sûr ! Pour compléter, j’ajouterai qu’il était courant de dire chez nous d’une personne laide, qu’elle ressemblait à un « mico ». Nous ne faisions alors nullement allusion à une petite brioche. C’était bien à un singe que nous pensions.

MONAS 1961

MONAS 1961

Ainsi donc, notre mona et son caractère sacré, symbole pour nous de Résurrection, aura reçu, d’une part, un baptême païen sur les flancs d’une colline oranaise ou sous les étroites fenêtres d’une bastille. Elle se sera vue, d’autre part, curieusement rattachée au monde des singes. Chacun appréciera à sa façon le sérieux de la chose.

En fait, dans les quartiers populaires, très espagnols, des villes d’Oranie, le nom de ce gâteau de Pâques, « religieusement » préparé durant la semaine sainte, se prononçait avec l’accent tonique sur le ‘o’ de la première syllabe [móna].Cette pâtisserie n’est pas d’origine Andalouse comme on l’a aussi écrit. Par contre, la calentica et les torraïcos, oui ! La « mona » n’est bien connue dans la Péninsule que sur la côte Méditerranéenne, depuis la province de Murcia au sud environ, jusqu’à celle de Barcelone au nord. Ce sont les émigrés des provinces de Valence, et d’Alicante surtout, qui ramenèrent chez nous, dans leur panier en osier [cabassette], à partir de 1850 environ, cette pâtisserie, adoptée ensuite par toute la communauté ibérique, Andalous compris.

Le dictionnaire de la « Real Academia » de langue espagnole définit ainsi le mot mona (je traduis) : gâteau brioché souvent orné d’un œuf, cuit au four, que l’on mange à Pâques le jour de la Résurrection. Le dictionnaire étymologique précise que ce mot vient de l’arabe hispanique « máwna », avec le sens premier de provisions-vivres. Les gens de ces provinces avaient aussi coutume, le lundi de Pâques, d’aller manger sur l’herbe à la campagne. Ils préparaient, au feu de bois, un riz au poulet ou au lapin, ce que nous appelions « arroz con pollo ».Parfois, c’était des gazpachos manchegos, galettes émiettées mijotant dans un jus de viandes très variées, du gibier si possible, préalablement rissolées avec tomate, ail et oignon. A l’heure du dessert, ils faisaient alors honneur à la mona.

Blasco Ibañez, célèbre écrivain et enfant du Levant espagnol, a admirablement bien immortalisé ces sites charmants de la Huerta, plaine fertile valencienne, dans ses nombreux ouvrages sur la région. Les champs d’orangers, la Albufera, véritable Camargue, et les bois en bordure de mer, se prêtaient à merveille à cette célébration champêtre pascale. Cette coutume fut ensuite perpétuée, par l’immigration espagnole, dans tous les coins d’Oranie où le lundi de Pâques fut communément appelé « el día de la mona », le jour de la mona.

Les Algérois et les Constantinois suivirent également cette mode mais de façon moins spectaculaire. Pour ces derniers, c’était « la Saint Couffin ».Le mot mouna était apparu très tôt dans les récits des premiers chroniqueurs métropolitains, venus chez nous pour rendre compte, aux gens de l’Hexagone, de ce qui se passait dans la colonie. Peu hispanophones sans doute ou pas assez curieux, ils débaptisèrent par erreur notre Mona. Elle perdit son accent tonique, très espagnol, sur le ‘o’, on rajouta un ‘u’, elle perdit ainsi son orthographe ibérique, et la prononciation se fit plus douce, plus française en quelque sorte, par déplacement de l’accent sur le ‘a’ final [mouná].Si les hispanophones restèrent fidèles, jusqu’en 1962, à leur mona, les autres communautés, surtout dans l’Algérois et le Constantinois adoptèrent la mouna.

Alors [móna] ou [mouná] ? A chacun son plaisir et ses habitudes bien sûr.

Chez moi, dans mon faubourg, au four banal de Pepe Ferrer et à la boulangerie de Alejandro Gil, là où les femmes du quartier se pressaient, en un va- et- vient incessant, pour aller faire cuire leurs gâteaux, je n’ai jamais entendu parler de mouna.Je peux en témoigner. J’avais 24 ans au moment du rapatriement. La mona de mes grands-parents, de mes parents et de tous mes amis d’enfance, celle que ma femme continue de me préparer chaque année, au temps pascal, évoque encore et toujours en moi, lorsque je la déguste, une foule de souvenirs bien trop chers pour que je l’oublie. Elle sera toujours en bonne place dans ce patrimoine culturel intime auquel je demeure très attaché.

En Métropole, on trouve quelques boulangers pâtissiers qui en font de délicieuses. La plupart d’ailleurs sont de chez nous ou apparentés à notre grande famille. En conclusion, ce qui est bien triste et un peu agaçant même, c’est cette amnésie au moment d’essayer d’établir la vérité. Un peu comme si, voulant gommer des racines culturelles déplaisantes ou dérangeantes, on préférait remettre les pendules à zéro : « Borrón y cuenta nueva » comme on disait chez nous (On efface tout et on recommence).On réécrit alors l’Histoire par petites touches en retenant plusieurs versions ; peu importe si elles sont différentes les unes des autres, voire contradictoires. Ça ne dérange pas ! Le lecteur choisira celle qui lui conviendra. Très curieusement, l’explication la plus logique est pratiquement ignorée ou n’apparaît jamais dans les écrits. Surprenant non ? Nos grands-parents n’étaient pourtant pas tombés du ciel. Un certain nombre d’entre eux était arrivé de la péninsule voisine, avec une langue, une culture, des coutumes. Je pense que ce serait leur faire honneur que de ne jamais l’oublier. Ne dit-on pas souvent : « Oublier ses racines, c’est perdre son âme. »

Manuel Rodriguez

(1) En Oranie (c’était tout au moins le cas à Sidi-Bel-Abbès), on utilisait peu le mot « mono,a » pour désigner le singe. On employait plus souvent « mico » . « Mona », c’était le gâteau de Pâques. Et employé comme adjectif (mono, a), il signifiait mignon, onne.

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RECETTE  pour deux mounas moyennes:

500g de farine, 100g de beurre, 20g de levure de boulanger ,100g de sucre en poudre, 3 œufs, 1 sachet de sucre vanillé, 1 zeste de citron râpé, 5cl de rhum brun, 7cl de lait tiède, Décoration : 2 jaunes d’œuf, 1 pincée de sel, 4 sucres en pierre ou 50g de sucre en grain pour décoration. Délayez la levure de boulanger dans un demi-verre de lait tiède , Laissez reposer à température jusqu’à ce que le mélange commence à mousser. Mélangez dans un saladier la farine, le sucre en poudre et le sucre vanillé, le sel, le zeste de citron. Ajoutez les œufs un à un, l’huile , le rhum, le lait mélangé à la levure. Pétrissez la pâte (idéalement environ 1/4 d’heure). Laissez reposer 4 heures à température, dans un saladier recouvert d’une serviette. Séparez la pâte en deux et pétrissez à nouveau. Déposez sur du papier sulfurisé beurré et laissez monter encore 2h. Préchauffez le four à 130° pendant 15 mn. Pendant ce temps, concassez grossièrement les sucres en pierre au pilon si vous n’avez pas de sucre en grains, battez les deux jaunes d’œuf avec un peu d’eau et badigeonnez-en les mounas. Déposez sur le sommet des brioches le sucre concassé. Enfournez env. 40 mn à 180°C. Surveillez la cuisson vers la fin. Les mounas doivent être d’une belle couleur brune.

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Complément en valencien pour les « despavilés »      D’on prové el nom?

L’etimologia de la paraula “mona” no és clara. Hi ha tesis que apunten a la “muna” de l’àrab antic, altres l’atribueixen al “monus” llatí o, fins i tot, al grec “munus”. En tots els casos, coicideixen amb el significat, “regal” o “ofrena”. El diccionari de la Reial Acadèmia de la Llengua de 1783 defineix la mona com una coca amb ous típica de la Pasqua a Catalunya, València i Múrcia.

La tradició de la mona representa la fi de les abstinències de Setmana Santa. En els inicis del cristianisme, es prohibia menjar carn, llet i ous durant la Quaresma. Els ous que es col·loquen en aquest pastís representen el principi de la vida. De fet, l’ou de Pasqua és símbol de la resurrecció primaveral a tot Europa.

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BARBOUZES contre O.A.S.

Posté par lesamisdegg le 10 mars 2018

A l’époque troublée de la fin de la bataille d’Algérie française, en novembre 1961, la police et les services de renseignement traditionnels ne suffisent pas à remplir toutes les tâches. Pour les plus compromettantes, on recrute donc des volontaires ; on recrute si vite qu’on n’a pas le temps de vérifier les casiers judiciaires. Et puis ce n’est pas chez les enfants de chœur que l’on peut trouver des gens qui savent manier un Beretta ou une mitraillette. Qu’importe, alors, si, parmi les hommes chargés de défendre l’action du Général, de combattre l’O.A.S., il y a d’anciens membres de « la carlingue », la sinistre Gestapo française de la rue Lauriston. (C’est le cas de Georges Boucheseiche, dit le « gros Jo ».) Qu’importe s’ils sont proxénètes, tueurs, « braqueurs » de banques. L’essentiel est qu’ils obéissent.

Ils obéissent. Au début du moins. Certains de ces « mercenaires » se sont d’ailleurs engagés par conviction politique et ils font leur travail avec discrétion et efficacité. Mais les choses vont s’envenimer très vite. Et les filous, qui ne tardent pas à prendre le pas sur les fidèles, s’aperçoivent bientôt que la condition de mercenaire, avec les « couvertures » politiques qu’elle implique, n’est pas sans avantages. Sur Paul Comiti, gorille du général de Gaulle et organisateur de ces réseaux parallèles, commencent à pleuvoir les coups de téléphone des commissaires de police. L’histoire est toujours la même. Au bout du fil le policier dit : « Je viens d’arrêter un type pour hold-up, il m’a présenté une carte tricolore en me demandant de vous téléphoner. » René Backmann – Le Nouvel Observateur n° 418 du 13 novembre 1972.
Nommé le 26 novembre 1961 à la tête de l’ensemble de la Mission C, Michel Hacq s’envole pour Alger. A ses côtés : Jacques Dauer et l’ancien champion de tennis Robert Abdesselam, devenu député. A un rang devant eux, Lucien Bodard, l’as des reporters, capte le maximum de bribes de la conversation des trois hommes. Ce n’est pas tout à fait un hasard si Bodard est dans l’avion. Un rédacteur en chef de France-Soir a eu vent de la  » Mission C  » et a demandé au journaliste de reporter un congé en Corse pour aller aux renseignements. Le soir même, dans sa chambre de l’Aletti, Lucien Bodard tape à la machine le  » papier  » nourri et construit dans l’avion, où apparaît le mot  » barbouze « .
Dans « France-Soir » du 2 décembre 1961, sous le titre « Les « barbouzes » arrivent », Lucien Bodard, définissait leur mission : « Très prochainement, les autorités vont employer les principes de la guerre secrète contre l’Organisation de l’Armée Secrète (O.A.S.)… L’objectif c’est de décapiter l’OAS en arrivant à détecter et à capturer les 10 hommes qui, à eux seuls, l’ont crée et l’animent… En réalité, les événements de ces derniers mois ont prouvé que le gouvernement était trahi dès qu’il voulait faire procéder à l’arrestation des chefs de l’OAS en se servant des moyens normaux… Cette force de choc sera indépendante. Les nouvelles formations anti-OAS ne feront partie d’aucune hiérarchie classique. Ce seront des organismes autonomes, sans sujétion à l’égard des autorités normales, agissant par leurs propres moyens et ne dépendant que des instances les plus hautes. Ils agissent largement en dehors de l’armée et de la police. Avant tout, cette nouvelle force sera secrète. Un secret absolu couvrira les activités et surtout l’identité des membres des formations anti-OAS. Cette force appliquera les méthodes des commandos et de la guerre secrète. Il s’agira non seulement pour elle d’avoir des « tuyaux » mais de les exploiter immédiatement et de façon décisive. Tout se passera sans papiers, sans rien. Les transmissions et les communications seront réduites au minimum, de façon à ne pas donner l’alerte… Cette force sera surtout composée de « nouveaux ». Tous les as de l’espionnage, du contre-espionnage, de la guerre subversive,  disponibles en France vont être envoyés en Algérie. Ce sont des gens sûrs, aux origines les plus diverses…»
 » Aux origines les plus diverses  » est tout à fait exact. Il fait appel aux anciens du service d’ordre du RPF, à tous ses amis corses, au premier rang desquels Francisci et les Venturi. Parmi les 300 hommes qui luttaient contre l’OAS, on comptait aussi Jo Attia, Jean Palisse.

Les barbouzes ne viennent pas de « la piscine «  du boulevard Mortier (siège de la DST) ; ils ne feront pas un métier de seigneurs. Comme dira Me Tixier-Vignancour au procès du général Salan :  » On a fait l’amalgame entre la police régulière et une police irrégulière et supplétive, composée de bandits, de tortionnaires et de condamnés de droit commun». Et, comme a écrit Constantin Melnik, alors chargé de la coordination des services spéciaux à Matignon, dans ses souvenirs : »… Ces demi-soldes du gaullisme… laissant dans leur sillage tout ce que j’apprenais sur leurs éventuelles condamnations pour rixes, coups et blessures, voire proxénétisme…  » Ce qui n’empêchera nullement Constantin Melnik d’assurer la transmission des ordres et des comptes rendus entre le Premier ministre Michel Debré, Michel Hacq et d’autres agents de liaison : Alexandre Sanguinetti (Intérieur M. Frey), le colonel Laurent (2e Bureau), M. de Rochefort (le Rocher Noir).Le ministère de l’Intérieur est bien placé pour recruter: il a sous la main, via l’administration pénitentiaire, tous les détenus  » intéressants « . On recrutera pour Sanguinetti des tueurs dans les bas-fonds de Marseille : quelques mauvais garçons au casier judiciaire chargé (mais on leur promet de les « blanchir »).

Les « barbouzes » ont carte blanche pour liquider les hommes des commandos Delta et les réseaux OAS. On avait commencé en fait par les employer pour liquider les membres des réseaux FLN en métropole. Munis de cartes de police et de ports d’armes, les truands marseillais font des ravages, en Algérie comme en France.

la grande barbouze

la grande barbouze

En 1961, un certain Raymond Meunier, dit  » Raymond-la-Science « , condamné pour vol à main armée, est libéré avec mission d’infiltrer les milieux OAS. Il travaillera surtout en métropole. Selon Leroy-Finville, chef de service du SDECE, qui le connaît pour l’avoir utilisé, c’est  » le summum de la belle brute ; un colosse adipeux, difforme et flasque, une voix grasseyante aux intonations vulgaires… « .
La Sécurité militaire n’est pas plus  » regardante  » que la police. Sa recrue-phare est un certain Jean Augé, un second couteau de la Résistance devenu sans transition un caïd du milieu lyonnais.  » Petit-Jeannot  » reçoit l’ordre d’abattre à Alger deux agents du SDECE accusés de  » trahison « . Plus tard, en 1965, le colonel André devra reconnaître avoir utilisé le savoir-faire d’Augé  » en diverses circonstances « , sans plus de détails. Augé est mort le 15 juin 1973, abattu au cours d’un règlement de comptes de nature indéterminée.
Très vite, le MPC dispose de cinquante permanents, sans compter les chauffeurs et gardes du corps algériens fournis par le cheikh Zekiri, avec ou sans l’accord officiel du FLN.

A Alger, Trois équipes : – Lavier : Place du gouvernement, bab el oued, square Bresson et Bd de la République. – Dubuquoy : centre d’El Biar. – Lecerf : Champ de manœuvre, rue de Lyon, Belcourt, Kouba et Hussein Dey. Goulay, Pelletier, Lavier, Franck, Hortenzi et Dubuquoy. – André Laurent à la sécurité militaire, coordonnait, analysait et traitait les renseignements et avait fourni, au MPC, des armes prises au FLN.
Pour Orléansville, Guy Gits sera le responsable qui travaillera étroitement avec le préfet Mohand Ourabah . A Orléansville, deux chefs de secteur, huit responsables et vingt huit militants. Leur groupe de choc était constitué de six baroudeurs triés sur le volet.
A Oran, ils étaient basés au « Château Neuf », QG du lieutenant-colonel Ranson, chef du 2e bureau qui fut exécuté par l’OAS et au collège Ali Chekkal protégés par les gendarmes.

Suite à la riposte de l’OAS qui entreprit la traque des Barbouzes Goulay et Lecerf demandent des renforts à Paris. Le MPC s’attela à un nouveau recrutement de  » soldats  » plus ou moins recommandables par l’initiative de Dominique Ponchardier.
Envoi de la  » mission C «  et d’un corps de volontaires. Ces nouveaux commandos seraient appuyés par le soutien logistique d’une nouvelle recrue ; Ettore Lobianco dit  » Mario  » assisté de Gérard Maugueret et de Michel Dirand. Gaston Quetel (vice-président du MPC) assurerait l’information de Dauer sur les activités en Algérie, de ces hommes

6 décembre 1961 arrivaient à Alger le père Peysson de son vrai nom Jean Dufour, Claude Vieillard, Marcel Pisano, ainsi que huit judokas et spécialistes de arts martiaux, quatre juifs d’AFN dont Joseph Touitou, Alain Belaïche, deux musulmans, le père et le fils Amar, et quatre vietnamiens commandés par Jim Alcheik dit  » Lassus » judoka qui utilisa ensuite son dojo parisien pour recruter une partie des membres du groupe Action, Viorme, et de son adjoint Roger Bui-Thé. Tous spécialistes de sports de combats, ils formeront le commando  » talion  » qui montrera très vite une efficacité redoutable. Ils seront logés dans une cinquième villa qui sera vite abandonné au profit de la fameuse villa Andréa. Ils auront pour objectif principal : annihiler la propagande OAS qui s’exprimait spectaculairement par des émissions de radio pirates. Le groupe Talion, qui a vraisemblablement servi de diversion au gouvernement de la république pour lui permettre de lutter contre l’OAS par d’autres moyens, fut décimé en peu de temps. Jim Alcheik mourut à Alger en janvier 1962, pulvérisé dans l’explosion d’une villa piégée par l’OAS. Peu avant Noël, nouveau colis : Jacques Andréi. Arrivé peu avant la fin de l’année à Alger, Clauzure, Biard, Pelletier, Hortenzi et Gauthier, tous membres du SAC (Service Action Civique) dont le chef sera Jacques Cohen « Mustapha ».Après le repliement à l’hôtel  » Radjah  » arrivée de Christian David agent du SDECE (qui assassinera le commissaire Gallibert). Débarquement des renforts recrutés dans le  » milieu  » marseillais. Dans la foulée François Marcantoni garde du corps d’Alexandre Sanguinetti et truand notoire, Ange Simonpieri , Marcel francisci, Dominique Venturi  » Nick « , qui s’illustreront dans le domaine de la drogue, Glaise secrétaire de FO, s’impliqueront dans la lutte anti OAS

capo di barbouzii

capo di barbouzii

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Lieutenant Gabriel GARDEL : un héros saharien

Posté par lesamisdegg le 7 mars 2018

Commandant du groupe de police des Ajjers, avec résidence à Djanet ,  le lieutenant Gabriel Gardel fut le héros épique du combat d’Esseyen, sur la frontière tripolitaine, le 10 avril 1913, avant que d’être tué, trois ans plus tard à Verdun.

Plein d’initiative, brûlant d’ardeur d’agir, manipulant la plume aussi bien que l’épée, le jeune officier occupait ses loisirs à la recherche passionnée de l’histoire des Ajjers, Touaregs du Tassili, frères ennemis des Hoggars, ce qui l’amena à écrire, entre ses tournées de police, « au pied d’une dune, à la pâle lueur d’une chandelle », un énorme recueil de trois cents pages dactylographiées. Tout est dit dans ce travail. Les hommes et leurs mœurs, leurs croyances, leurs légendes, la faune et la flore, le tout bien ordonné, clarifié, commenté. Des origines à nos jours, l’officier a tout lu de ce qui traite les Touaregs, du Sahara et de l’Afrique. Une telle « librairie », pour parler comme Montaigne, qu’on se demande comment Il put la transporter jusqu’à Djanet ! Et comme toute son étude fut écrite in situ, conçue sur la terrain, qu’il allait et venait, l’œil et l’esprit ouverts, attentifs et lucides, beaucoup de découvertes » furent faites depuis vingt ans à travers le Tassili et jusqu’au Ténéré, que le jeune méhariste avait lui-même reconnues et déjà consignées, notamment en ce oui concerné les inscriptions rupestres (1). Comme le père de Foucauld,  son voisin (2) et contemporain, Gardel a défriché et d’autres ont moissonné. C’est très évangélique !

Outre la probité de son information et ses jugements toujours sagaces, ce que nous admirons dans l’auteur de cette étude, C’est la raison qu’il donne comme l’ayant motivée : « Appelé à prendre possession des Ajjers, j’ai dû, à mon arrivée dans la région, pour me mettre au courant des diverses questions du pays, pour être complètement capable de commander et d’agir en pleine connaissance de cause, pour dominer ma tâche me livrer, aux moments de loisirs, à l’examen de tous les écrits que j’ai pu me procurer concernant cette partie du Sahara. Dès le début de ces recherches, j’ai pensé que j’éviterais à mes successeurs, à mes chefs, un travail ardu sans cesse recommencé, une perte de temps précieux, si je prenais une fois la peine d’écrire et de classer chronologiquement tout ce qui venait à mon information. Telle est l’idée première qui m’a guidé. » Et en exergue à cette rhapsodie touarègue, l’auteur inscrivait cette pensée de Melchior de Vogué, pensée qui traduit la sienne : « Avoir une tâche, une activité salutaire, la croire utile et l’aimer, tout est là ».

Le texte que voici, qui est du Père de Foucauld, et qui date du même temps où le lieutenant Gardel se faisait l’analyste des hommes du Tassili, confirme notre avis : « Pour bien administrer et civiliser notre empire d’Afrique, il est d’abord nécessaire de connaître sa population. Or, nous la connaissons extrêmement peu. Cela vient, en partie, des mœurs musulmanes, mais c:est un obstacle qu’on peut vaincre ; il reste ce fait déplorable, que nous ignorons, à un degré effrayant, la population indigène de notre Afrique. Je ne vois personne, ni officier, ni missionnaire, ni colon ou autre, connaissant suffisamment les indigènes. Il y a là un vice auquel il faudra remédier. »Dans la mesure de ses forces, afin de dominer sa tâche, le lieutenant Gardel s’est évertué à remédier à ce fait déplorable  à « ce vice » d’ignorance, fruit de l’indifférence, dénoncés par l’Ermite (3).

Du combat d’Esseyen, point de culture minuscule entré Ghât et Djanet, je veux transcrire le jugement du capitaine Duclos qui devint directeur des Territoires du Sud : « C’est le 10 avril 1913, que mon camarade a été attaqué par 350 senoussistes armés de fusils italiens. Quatorze heures dont une nuit entière avec un vis-à-vis à trente mètres. Il a fallu en découdre à la baïonnette. De notre côté, il n’y eut que sept hommes par terre. Les méharas seuls ont écopé largement. Gardel a dû rentrer à pied. Quant aux- senoussistes, ils ont perdu plus de quarante tués (4) et ont abandonné cinquante-cinq blessés ». Et le capitaine, qui était alors attaché au Service central des affaires indigènes, concluait en ces termes : « Je suis chargé du rapport. La censure ne s’exercera que sur l’excès d’enthousiasme » (5).

Ce que Duclos ne dit pas, c’est que le détachement commandé par Gardel n’était que de quarante hommes, et qu’il était seul Français parmi ces Sahariens avec un brigadier et un maréchal des logis . C’est qu’outre ses bons fusils bien approvisionnés, l’assaillant possédait des fusées incendiaires ; ce sont les invectives qu’échangeaient les deux camps et les « hurlements de loups », les danses et les chants sauvages et le fracas des sabres, dont l’ennemi accompagnait le crépitement de sa fusillade ; c’est l’appel à la trahison qu’il lançait à nos méharistes.

»Abandonnez les infidèles, ô musulmans ! Venez avec nous ! Nous n’en voulons qu’aux chrétiens ; lâchez, lâchez les kouffars ! »

Cela hurlé à trente mètres et sans fin répété avec toutes sortes de menaces et toutes sortes de promesses, toutes sortes d’injures aussi ! Avouons-le, il fallait au jeune chef des nerfs bien éprouvés, avec un cœur robuste une âme « bien née » enfin, pour ne pas perdre la tête. Enfin, c’est la charge à l’aube après l’infernale nuit, la charge dans la dune déjà rougie de sang.

«  En avant ! En avant ! crie le jeune officier, entraînant ses soldats que sa fougue électrise. »

Et les baïonnettes sont plantées dans des dos, dans des poitrines, dans des ventres. Et les ennemis atterrés, terrassés, étripés, s’écroulent et râlent dans leur sang. Les autres fuient. C’est la victoire avec l’aurore : la furia française a vaincu.

Psichari, prototype du héros colonial et modèle, à nos yeux, du soldat saharien, a écrit quelque part : « Nous avons tous une mission. Et quelle mission ! Celle d’imposer la France ! ». Ce que Kipling nommait « le fardeau de l’homme blanc ». Que pour certaines épaules, ou veules ou réfractaires, ce fardeau soit trop lourd, qu’il les écrase ou qu’elles l’évitent, c’est un fait. Mais qui rehausse encore le mérite et la gloire de celui qui le porte.

Le héros d’Esseyen - qui devait mourir trois ans plus tard dans une ambulance allemande des suites de graves blessures reçues devant Verdun – fut de ces forts sans reproche : par la plume et l’épée, par sa haute ambition de dominer sa tâche, il a bien imposé la France.

Honneur à la mémoire de ce preux intégral ! Et donnons-le en exemple à tous les Sahariens que ronge la saharite.

Claude-Maurice ROBERT.

(1) L’étude du lieutenant Gardel, vraie encyclopédie, est restée manuscrite. Souhaitons qu’elle soit publiée.

(2) Des voisins séparés par 500 kilomètres !

(3) Que son exemple n’est-il suivi ! Ainsi, chaque oasis, chaque poste militaire auraient leur monographie, ce qui faciliterait le gouvernement des tribus : « Gouverner, c’est connaître ». Mais nous sommes loin de là !

(4) « 60 à 70 morts », dit le rapport officiel du lieutenant.

f5) « Lettres d’un Saharien », publiées par Léon Lehuraux.

 

………………………………………………………………………………………………………………………………………………….

Gouverneur Général-sous couvert Commandant Corps d’Armée, Alger.- no 116 t -Brillant succès -

Cie Tidikelt dix avril 1913 lieutenant Gardel commandant reconnaissance cinquante spahis attaques par harka trois cent cinquante-cinq fusils. Combat engagé rapidement acharné a duré quatorze heures dont toute une nuit ennemis-entourant positions spahis à trente mètres. Moment critique. Vigoureuse charge à la baïonnette menée par lieutenant Gardel et maréchal des logis Bagneres a couché sur terrain vingt-trois ennemis et mis en fuite le reste.

Quarante-trois ennemis tués. Cinquante-cinq blessés. Trente-deux fusils tir rapide et nombreuses munitions prises. De notre côté, deux tués sept blessés dont un grièvement. Trente-sept méhara tués.

Petite troupe de héros forcée retraite à pied pendant cent-vingt kilomètres emmenant blessés recueillis par détachement de renfort à cinquante kilomètres de Djanet.

Lieutenant Gardel secondé par maréchal des logis Bagneres et brigadier de Conclois a fait preuve courage et sang-froid admirables. Très belle conduite des spahis.

Renseignements arrivent de Ghât: harka forte trois cent cinquante-cinq hommes commandée par Sultan Ahmoud et Inguedazzem disloquée quatre jours après combat. Après avoir pillé commerçants tripolitains et caisses argent turc, Ghât évacué. Sécurité rétablie.

Quitterai Djanet dès que confirmation renseignements ci-dessus. Rentrerai à In Salah après avoir disloqué goum Ouargla. Une partie rentrera directement Ouargla autre partie reconnaissance Titersin. Goum El Oued doit quitter région Adjer 1 mois après avoir exécuté reconnaissance Hassi Bourarehat-Ouan Sidi-In-Azaoua.

Télégramme enregistré le 8 mai 1913 au Gouvernement Général sous le n°1512 par le Bureau des Affaires Indigènes Militaires qui apprit à Alger la victoire d’Esseyen, dans l’Histoire des Compagnies Méharistes.

Lieutenant Gabriel GARDEL-Compagnie  Saharienne du Tidikelt -Hoggar - combat  d'Esseyen 1913

Lieutenant Gabriel GARDEL-Compagnie Saharienne du Tidikelt -Hoggar – combat d’Esseyen 1913

fort gardel 1957

fort gardel 1957

Djanet 1956

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l’accent des PIEDS-NOIRS

Posté par lesamisdegg le 22 février 2018

Mon Dieu, ils m’ont tout pris

Ma maison, mon ciel bleu, ma petite église, mes djebels.

De mon pays perdu, il ne me reste plus que l’accent.

Mon Dieu, faites que le temps qui passe ne me le prenne pas mon accent.

Ce n’est pas que l’accent de Provence n’est pas mélodieux :

Pagnol, la lavande, Giono, le mistral c’est très joli.

Ce n’est pas que l’accent du Nord n’est pas chantant :

Les chtis, les frites, le carnaval c’est très joli.

Ce n’est pas que l’accent de Paris manque de charme:

Gavroche, la Bastoche, les Champs Elysées c’est splendide

Mais moi Seigneur, mon accent c’est tout ce qui me reste de mon pays perdu.

Faites que le temps qui passe ne me le prenne pas mon accent Mon Dieu.

Car cet accent-là, c’est l’accent de mon grand-père qui, à Verdun a crié à ses zouaves

« Allez Mohamed, allez Mamadou, allez Fernandez, baïonnette au canon et vive la France  »

Car cet accent-là, c’est l’accent de mon père qui, à Monte Cassino a crié à ses tirailleurs

 » Allez Kadour, allez Santini, allez Sposito, à l’assaut et Vive la France »

Car cet accent-là, c’est l’accent de mon frère qui au cours du dernier assaut Viet à Dien Bien Phu, avant de mourir a crié à ses légionnaires

« Allez Steiner, allez Pablo, la Légion ne se rend pas Vive la France  »

Mon Dieu, faites que le temps qui passe ne me le prenne pas mon accent.

Parfois, certains qui ne nous aiment pas me disent que mon accent sent la merguez, le couscous .Ils ne savent pas ces gens-là, qu’au lieu de me vexer ils me remplissent de joie car cet accent-là, c’est l’accent d’Albert Camus, du Marechal Juin………..

Si le temps me le prend mon accent comment je vais faire Seigneur pour raconter à mes petits-enfants comment il criait le marchand de légumes dans les ruelles de Bône ?

Si le temps me le prend mon accent, tu m’entends moi Seigneur dire à mes petits enfants avec l’accent, tous les vilains mots que l’on criait à Galoufa l’attrapeur de chiens errants dans les rues de Bône?

Alors mon Dieu, je vous en supplie faites que le temps qui passe ne le prenne pas mon accent de la bas, l’accent de mon pays perdu.

Jacques HUVER de Bône -02 2018

Pieds-Noirs 2017

Pieds-Noirs 2017

Pieds-Noirs 2017 -ongles

Pieds-Noirs 2017 -ongles

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ALGER février 1956

Posté par lesamisdegg le 5 février 2018

Des tomates pour Guy Mollet

 

La Delahaye du président du Conseil vient de quitter l’aérodrome de Maison-Blanche. Guy Mollet tire sur la cigarette qu’il a nerveusement allumée. Tout au long des vingt kilomètres qui le séparent d’Alger, il aperçoit le cordon de policiers et de soldats qui lui font une haie d’honneur, mais surtout un rempart. Le gouvernement a dépêché sur place le directeur de la Sûreté nationale, Jean Mairey, et fait acheminer de métropole douze compagnies de CRS, par Bréguet deux ponts et DC 4. Paris se méfie d’Alger. Le secrétaire d’État aux Forces armées, Max Lejeune, qui l’a devancé de deux jours, a prévenu le président du Conseil : «Ton arrivée sera mouvementée.» Guy Mollet a seulement accepté de modifier l’heure de son départ, dans l’espoir, dérisoire, de tromper les manifestants. Parti de Villacoublay sous la bruine, le SO Bretagne s’est posé vers 15 heures à Alger. «Je lance un appel de paix à tous les esprits sages, à tous ceux qui ne se laissent pas entraîner par la passion, déclare-t-il au pied de la passerelle. J’ai vu avec surprise et tristesse des hommes s’interroger : « La France va-t-elle abandonner l’Algérie ? » Que signifie la présence du président du Conseil, sinon l’affirmation encore renouvelée du caractère indissoluble des liens entre l’Algérie et la métropole ?»

Mais il en faudrait plus pour rassurer les 986 000 Français d’Algérie, attachés à cette terre qui est aussi la leur : 80% d’entre eux y sont nés. Les musulmans, dont la population a beaucoup augmenté grâce aux progrès sanitaires, sont un peu moins de 9 millions. Seule une minorité d’entre eux est acquise à la rébellion que les fellaghas (les coupeurs de route) ont déclenchée le 1er novembre 1954.

La Toussaint rouge  La situation s’aggrave l’année suivante. Le 20 août 1955, dans le Constantinois, le FLN excite la foule musulmane contre les Européens et les musulmans récalcitrants. Incendies, viols, assassinats. À El-Halia, à vingt kilomètres à l’est de Philippeville«les insurgés, armés de cartouches de dynamite, de bouteilles d’essence, de fusils, de haches, massacrent les hommes», les habitants des mechtas voisines s’acharnent sur les femmes et les enfants. «Et c’est en pataugeant dans des mares de sang que les militaires découvrent la tuerie», rapporte Yves Courrière dans Le temps des léopards(Fayard). À l’issue de ces heures d’épouvante, on compte cent vingt-trois morts, dont soixante et onze Européens.En décembre 1955, la cadence des assassinats augmente encore. En Kabylie, on compte une moyenne de douze victimes par semaine, surtout des musulmans accusés de « collaboration » par les fellaghas parce qu’ils exercent de modestes fonctions d’autorité, comme les gardes champêtres. Le drame algérien est au cœur de la campagne pour les élections législatives de 1956.

Pour les Français d’Algérie, la victoire du Front républicain n’est pas une bonne nouvelle. Ils ne veulent pas des élections au collège unique que le gouvernement prétend organiser alors que la paix n’est pas revenue. Ils se souviennent que Guy Mollet a dénoncé cette «guerre imbécile et sans issue», dans l’organe officiel de la SFIO, le Populaire. Ils se méfient de son ministre d’État, Pierre Mendès France, qui a mis fin à la souveraineté française sur l’Indochine en 1954. Surtout, ils récusent le général Catroux, que Mollet veut leur imposer comme ministre résident : ils l’accusent d’avoir préparé la « capitulation » de la France au Maroc en négociant le retour à Rabat de Mohammed V, en novembre 1955. Pour eux, Catroux est «le symbole de l’abandon». Le 2 février 1956, ils ont fait un triomphe romain à son prédécesseur, Jacques Soustelle qui, s’il a tenté des réformes, a refusé de négocier avec les fellaghas : 80.000 personnes l’accompagnent sous les vivats jusqu’au bateau qui le ramène en France. On crie «Soustelle avec nous»«Catroux à la mer». Comment Guy Mollet n’y penserait-il pas ce lundi 6 février, en roulant vers Alger sous un ciel gris ?

C’est dans une ville morte que pénètre le cortège officiel : les commerçants européens ont baissé le rideau de fer de leurs boutiques. «Fermé pour cause de deuil», affichent les devantures. Les Français d’Algérie ont suivi les consignes du Comité d’entente des anciens combattants, travaillés par Me Biaggi, un héros de la résistance «si grièvement blessé en Alsace qu’on en a fait un officier de la Légion d’honneur à titre posthume», raconte Claude Paillat dans Vingt ans qui déchirèrent la France (Robert Laffont). Il faut aussi compter avec les troupes du « chouan de la Mitidja », Robert Martel, et celles du cafetier du Forum, Jo Ortiz, le patron du groupe action du mouvement poujadiste. Sept cents hommes décidés à faire entendre la voix d’Alger à Guy Mollet.

Le président du Conseil a prévu d’aller déposer une gerbe au monument aux morts, situé au centre d’un escalier-jardin qui dévale du gouvernement général jusqu’à la mer. 20.000 manifestants l’y attendent. Quand il descend de sa Delahaye, on n’entend plus rien que le grondement assourdissant de la foule en colère. «Guy Mollet à Paris !», «L’armée avec nous !»«Al-gé-rie fran-çaise !» Des balcons s’abat sur le cortège une pluie de légumes et de tomates mûres. Plusieurs s’écrasent aux pieds du président du Conseil qui, bien que livide, parvient à se maîtriser. La minute de silence ne dure que quelques secondes, avant que les officiels ne regagnent prestement leurs voitures «dans l’odeur piquante des grenades lacrymogènes», écrit l’envoyé spécial du Figaro, Serge Bromberger.. Il était temps ! Un groupe d’étudiants réussit à rompre le cordon de police et met en pièce la gerbe que Guy Mollet vient de déposer auprès de la stèle. L’émeute s’étend aux alentours du Palais d’Été où s’est réfugié le président du Conseil. Il appelle l’Élysée, bouleversé par la révolte du petit peuple d’Alger. «Je suis ému, je suis ému profondément, dit-il à René Coty. Les manifestations que nous craignions se sont déroulées. Mairey ne répond pas du maintien de l’ordre si Catroux persiste à vouloir venir». La démission du général Catroux est connue peu après 17 heures. Alger, en liesse, réclame aussi celle de Guy Mollet, mais les manifestants qui tentent d’investir le Palais d’Été dans la soirée seront dispersés sans l’obtenir.

Dans la presse, le revirement du président du Conseil est diversement apprécié. «M. Guy Mollet n’a pas pris la foudre. Il a pris des tomates pourries, mais sur le nez. Et si ce n’était que sur le sien, nous nous serions fait une raison. Mais c’est l’État qui a reçu cet outrage», grince François Mauriac dans l’Express, cependant que Combat affirme : «Le terrain est ainsi déblayé pour un nouveau départ».. Pour remplacer Catroux, Guy Mollet choisit Robert Lacoste«Toi seul peux nous sauver. Tu es un homme de caractère. Viens !» Militant syndicaliste, élu socialiste de Dordogne, Lacoste est un lutteur. «Un ventre confortable, un langage truculent, du rire mais aussi d’effroyables colères, écrit Claude Paillat. L’empire colonial, qu’il ne connaît pratiquement pas, a été construit par des gens de gauche : à Alger, il ne l’oubliera pas. Il réagira donc en conservateur d’un legs familial».

De retour à Paris, Guy Mollet justifie sa décision devant l’Assemblée nationale, le 16 février. La «douloureuse manifestation» d’Alger était «l’expression de sentiments profonds et hautement respectables : l’attachement à la France, l’angoisse d’être abandonnés». Surtout, il proclame «l’inébranlable volonté française à la fois de présence en Algérie et d’évolution». En mars, les députés, communistes compris, autorisent le gouvernement à prendre par décret toutes mesures relatives au développement économique de l’Algérie ainsi qu’au rétablissement de l’ordre. C’est la loi sur les pouvoirs spéciaux.

En avril et mai 1956, l’extension de la rébellion conduit Guy Mollet à rappeler partiellement les classes 1951 à 1954. Le service militaire est allongé de dix-huit à vingt-sept mois. Les effectifs engagés en Algérie passent de 200 000 en début d’année à 400 000 en juillet. Un renforcement du contingent accompagné d’appels au cessez-le feu rejetés par le FLN qui décide, au contraire, de multiplier les attentats au cœur des villes.

Le 30 septembre, deux bombes explosent à Alger, à 18 h 35, l’une au Milk Bar de la place Bugeaud, l’autre à la Cafétéria, rue Michelet. «L’engin du Milk Bar, qui avait été placé dans un sac de plage et déposé contre le comptoir, faucha littéralement les plus proches consommateurs, tandis que les glaces s’abattaient sur les clients installés à la terrasse, écrit Le Monde, le 2 octobre. Un spectacle horrible s’offrit alors aux yeux des rares rescapés : le sang avait giclé sur les marbres blancs des parois, tandis que çà et là des femmes et des enfants, jambes déchirées ou arrachées, s’agitaient en des soubresauts convulsifs». La bataille d’Alger était engagée.

 Fabrice Madouas –Valeurs Actuelles 2006 07 –

 

02 02 56 Soustelle part

02 02 56 Soustelle part

02 06 56 Mollet arrive

02 06 56 Mollet arrive

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Les TOUBIBASS des Equipes Médico-Sociales Itinérantes (EMSI)

Posté par lesamisdegg le 30 janvier 2018

Algérie 1957-62.

Le rôle humanitaire des E.M.S.I., un aspect méconnu des actions engagées auprès des femmes en Algérie par les « toubibs« , ces femmes de cœur, tout à la fois assistantes sociales, puéricultrices, éducatrices au contact des familles et des enfants dans le bled.

De 1956 à 1962, l’armée française en Algérie et les autorités civiles ont eu le souci de l’assistance sociale et médicale aux populations isolées des campagnes et les montagnes, alors que l’AMG (assistance médicale gratuite) existait déjà dans les villes où le développement était en marche. Le service de santé militaire s’y est consacré partout où il était présent : des dispensaires médicaux et des centres d’animation, pour le progrès, l’hygiène et l’éducation ont été ouverts, notamment auprès des SAS (sections administratives spécialisées) ; des missions itinérantes ont été créées et parmi elles les EMSI .

Les EMSI, familièrement appelées les toubibass avaient pour ambition de donner un visage humain à notre pays. Des centaines de jeunes filles, de toutes origines et de toutes religions, furent ainsi recrutées pour porter sur leur blouse blanche l’insigne des EMSI. Après un stage de formation, elles se consacrèrent aux femmes et aux enfants, aux malades et aux vieillards, plus tard aux Harkis et à leurs familles. Elles ont servi avec courage et abnégation dans les périls et les difficultés de la guerre, au temps des promesses et de l’espérance.

J’ai eu l’honneur d’être l’une d’entre elles. Native de Picardie, une région particulièrement meurtrie par la guerre. J’ai vécu l’exode et retrouvé au retour mon village entièrement détruit. C’est un souvenir pour moi, encore à ce jour, difficile à effacer de ma mémoire. Reçue en octobre 2003, par le président du Sénat Christian Poncelet, dans ce cadre prestigieux de « la maison des Sages », entourée d’anciennes EMSI j’ai rappelé :

« J’étais donc une métropolitaine comme l’on nous désignait à cette époque, lorsque je suis partie en Algérie, fin 1957, œuvrer dans les « Equipes médico-sociales itinérantes » dites « EMSI ». Imaginant naïvement, pour ma part, que l’amitié pouvait favoriser le difficile chemin menant au calme et à la compréhension. Ces équipes créées en 1957 avaient une mission bien définie, celle d’aller dans les douars les plus excentrés afin d’aider les femmes à évoluer vers un avenir meilleur.

Quarante années d’écrits de témoignages, de récits, où tant de personnes ont exprimé leur souvenir, leur opinion, certaines persuadées d’être les seules à détenir la vérité, leur vérité, hélas trop souvent confiée à une certaine presse avide de sensationnel. Mais sur les « EMSI » rien… Le silence !

Le rôle humanitaire des femmes auprès des femmes et des enfants en Algérie est un sujet « tabou ». Il faut se rendre à l’évidence. Le mal a toujours priorité sur le bien, triste réalité de notre époque. Cinq longues et difficiles années d’activité dans les « EMSI » me donnent le droit et le devoir d’en parler.

Que ce soit l’été sous un soleil torride, ou l’hiver dans la neige et le froid glacial, j’ai parcouru la Petite Kabylie, la Vallée de la Soummam, les Aurès Nementcha, la presqu’île de Collo et bien d’autres régions.

Oui, il y a eu une action humanitaire en Algérie. Ce fut le travail harassant de ce millier de femmes natives de France métropolitaine et d’Algérie française comme aussi de jeunes musulmanes conscientes des difficultés, des risques encourus et de la valeur de leur mission, et qui, main dans la main, sont allées porter aux femmes et aux enfants de ce pays ce que la France avait de meilleur à offrir : les qualités de cœur ; en un mot : aide, secours et amitié.

Familièrement appelées « Toubibass », elles étaient à la fois assistantes sociales, puéricultrices, éducatrices et amies tentant par leur présence, au côté de cette population rurale désorientée par les événements, de faire obstacle à la misère et à la peur, avec pour seule et unique ambition, donner un visage humain à notre pays..

J’ai, pour ma part, le souvenir de l’inconfort de mes étapes. Les éprouvantes marches sur des pistes sans fin. Les pluies diluviennes qui transforment les oueds en torrents. Les inondations qui emportent dans leurs eaux bourbeuses et tumultueuses les modestes biens nécessaires à la vie de tous les jours. Les glissements de terrain, fléau de ce pays qui arrachent les mechtas sur leur passage, laissant des familles traumatisées face à ce douloureux coup du sort. Le village de torchis qui, à cause d’une malveillance, est la proie des flammes.

Devant ces situations trop souvent tragiques les « EMSI » étaient toujours présentes, afin de résoudre au mieux ces problèmes a priori insolubles. Bien souvent, avec ténacité et courage elles y sont parvenues, malgré le manque de moyens et de matériel.

J’ai tout au long de ce difficile parcours, connu de très grandes peines, lorsque l’on ne peut donner que ce que l’on possède. Nos moyens n’étaient pas à la mesure d’une population aussi dense et qui était démunie.  Je dois dire que j’ai également connu de très grandes joies : un enfant que l’on aide à naître, un autre à guérir, une adulte que l’on a secourue et qui vous exprime sa gratitude par un simple sourire. Tous ces petits riens qui m’autorisent aujourd’hui à témoigner ici.

L’action humanitaire en Algérie, ce fut : les médecins et infirmiers militaires qui ont prodigué des soins gratuits à la population, les longues files de patients présents chaque jour devant les infirmeries témoignaient de leur dévouement. Les « sections administratives spécialisées » dites « SAS » dans leur difficile travail administratif et leur énorme difficulté à gérer une population dont les identités se mélangent souvent et se confondent en un imbroglio invraisemblable. Les jeunes appelés pédagogues qui, avec volonté et ténacité, inculquaient leur savoir à des enfants analphabètes.

Enfin les « EMSI » ayant la lourde tâche d’orienter la population féminine vers une évolution, assurance d’un avenir meilleur. Le seul regret que je puisse exprimer à présent sur ce sujet, c’est que nous aurions dû être plusieurs milliers pour favoriser l’évolution des femmes de ce pays et éradiquer la misère, contrecarrée par une démographie galopante.

Je le dis haut et fort, j’ai été et reste fière d’avoir accompli cette noble tâche, qui était d’apporter l’amitié, le réconfort et d’alléger la souffrance de ces gens. Vouloir à présent occulter cette action, c’est mépriser ce qui fait le ferment de l’humanité. Ces cinq années de présence en Algérie m’ont permis de vivre tous les événements qui ont bouleversé l’histoire commune de nos deux pays : le  mai 1958 dans l’enthousiasme ; le  avril 1961 dans l’espérance et le 19 mars 1962 dans la honte et le désespoir.

Après cette date, le devenir des dix « Equipes-médico-sociales-itinérantes » de la zone sud-est constantinoise dont j’avais la responsabilité, fut réglé dans la première quinzaine de juin, par une banale note de service déposée sur mon bureau, un texte sans ambiguïté : « A compter du la juillet 1962, les « EMSI »de la Zone-sud-est constantinoise seront mises à la disposition du gouvernement algérien ». Notre avis sur la question n’avait aucune importance, pour la simple et unique raison qu’on ne nous l’avait pas demandé. Pour les Européennes le problème pouvait être résolu. En ce qui concerne les jeunes musulmanes, il ne faisait aucun doute que c’était pour elles une condamnation à mort certaine (hélas l’avenir nous l’a prouvé). C’est alors que nous avons dû faire appel à notre conscience pour régler au mieux ce douloureux problème.

Les « EMSI » ont pour la plupart assuré le rapatriement des Harkis, du moins le petit nombre d’entre eux qui ont eu cette chance. La France, terre d’accueil et patrie des Droits de l’homme, avait failli à sa réputation. Une fois de plus, l’humanité était bafouée.

En 2003, dite « L’année de l’Algérie en France », qu’il me soit permis d’aborder le sujet dont se repaissent les médias et une certaine presse, sous la houlette d’une intelligentsia calomnieuse. Je veux parler de la « torture ». On ne peut nier que celle-ci ait existé et le regretter. Il faut se rendre à l’évidence, tous les conflits en ce bas monde, engendrent cette sorte de pratique condamnable. Et il ne faut pas oublier la barbarie des fellagas. En Algérie, toutefois, il faut se garder de voir en chaque militaire, qu’il soit d’actifs ou simples appelés du contingent, un tortionnaire. S’acharner à culpabiliser des innocents est une intoxication dangereuse.

Je voudrais terminer mon intervention par cette phrase enfouie dans ma mémoire d’enfant, à qui l’on a inculqué certaines valeurs : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie ont droit, qu’à leur cercueil, la foule vienne et prie ».  C’est pourquoi je tiens à citer les noms des « EMSI » qui ont perdu la vie lors d’une embuscade ou lâchement assassinées. Leur souvenir est toujours vivace en nos mémoires. Nous réitérons ici le vœu que leurs noms figurent enfin sur le Mémorial édifié à Paris. Juste reconnaissance de leur sacrifice : Christiane Guenon, Kedassa M’Barka , Yamina Ouali , Zoubida Mustapha , Keira Djamilla Madani , Saadia Chemla , Zhora Nichani , Nadia Lassani , Germaine Kintzler. Le silence des morts ne doit pas favoriser leur oubli.

Le devoir de mémoire, concernant cette période de notre passé, est désormais le travail des historiens. Ecrire l’histoire de ces années tumultueuses demande sagesse et honnêteté. Il n’est pas permis d’exclure ce qui dérange et de promouvoir les idées qui arrangent. La mémoire doit être lucide, sans faille. Nous admettons les critiques, mais que l’on reconnaisse également nos mérites de bâtisseurs et d’humanité. La vérité ne doit pas être parée d’idéologie, quelle qu’elle soit, pour semer la confusion dans les consciences. La vérité doit être nue. Il est temps de nous rendre notre fierté, et notre honneur. Ceci est la mission des dirigeants de ce pays.

Ginette Thévenin-Copin 2003

 

 

TOUBIBAS 1957

TOUBIBASS 1957

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